Platane 10

Les images se projettent d'elles-mêmes puis défilent le long de ma traversée. Dans le rétroviseur, Millais, Le Caravage, Waterhouse, Bosch, Moreau et les autres se succèdent. Le ciel a ses touches d'impressionnisme, de surréalisme, de réalisme, d'abstraction, de baroque, de classicisme... Mais le ciel ne reste ni plus ni moins que le ciel. Ce même ciel qui nous trompe sans qu'on y pense toujours. Successions de couches qui masquent le vide et l'absence, saturées de lumières funèbres, de nuages où l'on ne saurait s'asseoir – comme les anges le font si bien –, de couleurs subjectives, de lumières à travers l'ombre, de planètes insondables... D'infinies conjectures et d'éternelles religions. Je suis né mal-formé. Mon regard, du haut de mon berceau, voyait déjà l'au-delà comme le maquillage de l'angoisse infinie. En grandissant, j'ai appris à composer avec la palette des autres. J'ai appris à voir le soleil se coucher, la lune se retrancher, la pluie tomber, le bleu rayonner. Ce sont des choses qu'on n'oublie pas. Et puis il y a notre propre atmosphère. La toile qui croûte à force d'être peinte puis repeinte. Ces images qui dégueulent, qu'on expulse moins qu'on assemble. La trace. Toujours la trace, prise dans la digestion permanente d'un flot inconcevable de données. Je n'ai jamais eu le sentiment de me décharger en écrivant, mais plutôt l'impression qu'un mot couché en réveille une salve d'autres dont une partie ne sera jamais formulée. Les platanes filtrent l'au-delà et ne parvient, à mes yeux, qu'un mélange croissant d'ombres et de lumières.